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Lunes d’Arabie
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  • Dès l'abord, on reconnait un grand livre à sa force d'évidence, à la conviction qui l'habite, à cette tension vers la perfection qui a ordonné les images, rythmé les textes, disposé l'espace des pages. Lunes Arabie, l'ouvrage de Pascal et Maria Maréchaux prend place dans cette catégorie d’œuvres rares, nées d'une attention extrême aux hommes et aux choses et d'une infinie patience.
    Pendant douze années, ces photographes ont parcouru le Yémen, séjourné dans les villages, noué des amitiés, découvert un art de vivre où le temps privilégie tout autant les joies vives de l'éphémère que la beauté sereine des visions immuables. Leur livre, explicitement , célèbre l'instant et l'éternité : le présent étincelant d'un jour de mariage, le cycle des saisons, la naissance d'un enfant, la mémoire des siècles et la permanence d'une parole divine.
    Ici s'accomplit une rencontre authentique où chaque geste, chaque parure, chaque signe est explicite et multiplie ses correspondances. Le maquillage des femmes s'apparente aux décors des fenêtre et des seuils des maisons ; les cultures en terrasses prolongent les escaliers sculptés dans le roc des réserves d'eau ; la composition des façades répond au dessin des calligraphies. Pascal et Maria Maréchaux entrent sans cesse dans ce jeu des miroirs où la peau réfléchit la pierre, où d'un verset coranique. Leurs yeux de photographes n'oublient jamais qu'ils sont également architectes, habitués aux lignes et aux formes, aux plans et à l'inscription des cités dans le paysage. Le Yémen, avec ses construction qui allient rigueur et magie, ne pouvait que les fasciner jusqu'à les changer en bâtisseurs d'ombre et de lumière.
    De leurs images émanent une puissante harmonie, une noblesse, parfois une douceur sans miévrerie, plus souvent de la grandeur. Sans doute est-ce là un périple sublimé, une épure idéale d'une Arabie Felix peu à peu entamée par les secousses, les illusions, les agression du monde extérieur. Dans le beau texte qui scande le livre, Dominique Champault évoque les pesanteurs des survivances traditionnelles, les fractures plus ou moins profondes infligées aux mentalités et les tentations, peut-être légitimes, mais à coup sûr destructrices... "Insidieusement se glissent les rêves : faire instruire les enfants, les envoyer dans une grande école, dans une grande ville, dispenser une hospitalité fastueuse dans un mafraj tapissé de velours historiés, regorgeant de pipes à l'eau, d'aspersoirs, de bouteilles isothermes et de crachoirs, où trônerait un récepteur de télévision..."
    Dans la sinistre normalisation des désirs et des comportements qui submerge désormais le monde, le Yémen demeure pourtant parmi les territoires les moins asservis et parmi ceux qui donnent encore un autre horizon au bonheur que l'épuisante accumulation des biens inutiles. Témoignant aussi de cela le livre de Pascal et Maria Maréchaux intervient a sa manière dans la résistant à la mise en conformité des civilisations et des cultures.
    André Velter. Le Monde. 10 décembre 1987

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