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Yémen
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  • Il est au monde peu de noms qui, spontanément, bénéficient d'une telle aura, d'un tel mystère. Le Yémen se tient très loin de ces terres de pacotille ; et l'ouvrage que lui consacrent Pascal et Maria Maréchaux se veut, lui aussi, très éloigné de ces "beaux livres", pleins de reflets séduisants mais tous saisis a contre-réel.
    S'ils composent, après vingt années d'incessants séjours, une sorte d’hymne au Yémen, ils se gardent bien d'en proposer une célébration sans nuances. Leurs photos font large place à la beauté foudroyante des lieux, à cette harmonie vertigineuse des rocs et des villages, des villes et du désert, de la mer et des façades peintes, mais elles n'enjolivent pas systématiquement. Surtout, elles viennent en regard d'un texte documenté de Dominique Champault, qui explore l'histoire et tous les aspects de la vie du pays, sans passer sur les zones d'ombre d'une société rigoureusement, voire fanatiquement structurée. Ainsi le chapitre consacré à la condition féminine décrit-il simplement comment "le conservatisme le plus formel codifie toute la vie d'une femme, du berceau à la tombe" : et précisément comment, "derrière les raisons économiques, les nécessités d'alliance politique par lesquelles les Yéménites justifient la tradition obsolète du très jeune âge de la mariée, se cache l'obsession de la virginité, ce bien propre à la fois au père et à l'époux, virginité dont la perte irréversible précipiterait la famille dans le désordre. La mystique de la virginité n'est pas une spécificité yéménite : elle connait ailleurs les mêmes outrances ; mais nulle part elle ne rencontre d'adeptes plus intransigeants".
    Le ton de ces quelques lignes permet d'admirer en confiance les images somptueuses qui témoignent d'une civilisation altière où les sites et les cités, mais aussi la démarche et les sentiments des hommes, sont abrupts. Partout du vertical, des angles cifs, de hautes murailles, des puits profonds, des couleurs franches : le Yémen présente ses profils tranchants. Aujourd'hui réunifiés en un seul État, le Nord et le Sud dressent, de Sanaa aux villes mirages de l'Hadramawt, des perspectives à couper le souffle.
    "Dans un pays fermé, on s'échappe en hauteur" note justement Alain Borer dans sa préface. Il n'oublie pas d'évoquer Rimbaud qui, avec sa Saison en enfer, avait anticipé sur ses saisons yéménites en annonçant l'entrée future "aux splendides villes", même si son "ardente patience" dut surtout se contenter d'Aden, la torride cité établie dans le cratère d'un volcan éteint. L'ancienne Arabie heureuse va du plus absolu des déserts aux allées humides couvertes de caféiers. Le périple auquel invitent Pascal et Maria Maréchaux a donc une vertu tonique : il fait rêver les yeux ouverts, il laisse le regard clair, l'esprit lucide. Il force à réveiller sans cesse les obsédants conflits de la beauté et du bonheur, de la grandeur et de la liberté, du vivant et du sublime. Le Yémen, où Pasolini a trouvé le décor de ses Mille et Une Nuits, trouve ici ses images de plein jour. C'est un fabuleux miroir qui se garde des fables.
    André Velter. Le Monde. 16 octobre 1993.

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